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Le peintre jeté comme un caillou dans la mare du monde fait des ronds autour de son point de chute: remous, ondulations. Les couleurs font taches dans le champ et le hors-champ du tableau. La palette s’élargit, débordant sur la table, le sol, les murs et tout ce qui se trouve autour, dans cet espace de dilatation du faire pictural. Entré dans la transe du geste créateur, le peintre devient chamane, sorcier, transformant, transmutant, pour ainsi dire, une matière à penser et à sentir, dans le creuset de l’atelier, par une sorte de danse sacrée, qui a tout d’un acte liturgique.

Dans son devenir-peinture, agissant de tout son corps sur la toile et autour d’elle, le peintre sert de pivot aux battements de l’oeuvre, qu’il engrosse de jour en jour, tel Ouranos qui sans fin se couche sur Gaïa, dont il ne peut se séparer, à l’appel de laquelle il ne peut résister. Dans ce désir d’être et ce désir d’oeuvre qui s’entrecroisent sans cesse, l’agir du peintre quitte le cercle artificieux de l’art pour mieux pénétrer dans l’encerclement de la vie. Circonvolutions, vibrations s’y signent, et celui-là qui signe de son nom y trouve à la fois sa perte et son salut.

Quand par ses gestes, il martèle et forge ses propres clous, quand il troue, perce, sectionne et fend, quand il scinde ou fusionne la matière, le peintre devient forgeron. Et c’est grâce à la flamme intérieure toujours montante et nourrissante qu’il modèle ses objets, les plie et déplie à l’enclume de son désir. Si, passant du brut à la finesse du geste, de la ciselure, à la petitesse du trésor qu’il enfouit dans des niches, écrins, alvéoles, il réduit alors l’ampleur des châsses et ouvrage à même l’or de ses tableaux un destin d’orfèvre.


Noir et Blanc
1985-1986
Matériaux et médiums mixtes
Mixed media
61 x 76 cm










Hommage à A.Tàpies
1975
Matériaux et médiums mixtes
Mixed media
25,5 x 20 x 2,5 cm















Parade
1963
Matériaux et médiums mixtes
Mixed media
122 x 183 cm




Et quand le peintre ouvre le passage de la surface au volume, de la ligne au relief, du rectangle à l’enclos, du paysage à la géologie, l’oeuvre prend du souffle et de l’espace. Il ménage des passages encore, allant des matériaux trouvés aux matières triturées, aux formes bricolées, aux forces jaillissantes pétries à même la matière brute. Des frontières s’érigent alors, une cartographie laissant apparaître le tracé des continents (Noir et Blanc, 1985-1986), et voici que le peintre taille la nappe du monde, par la traversée d’une diagonale, séparant ainsi les ténèbres de la lumière. Ménageant les creux et les pleins, l’évidement et le comblement, provoquant soulèvements, gonflements, boursoufflures, une peau qui cloque, une écorce qui s’épaissit, des strates qui se tassent en se superposant, le vent gonfle alors les voiles, la coque se met à glisser et prend le large, et le peintre devient sculpteur/géographe.

Est-ce là que le tableau parle quand il offre à voir ses façades muettes, ses reliefs, ses fentes, ouvertures et fermetures, espaces aérés ou chambres closes, ses constructions, ses édifications, poutres, chambranles, linteaux, ses suspentes, tiges, cordes, pans de murs monochromes (Composition architecturale, 1980), ou allée de profondeur où s’engouffre la lumière. Répétant les gestes tels tracer, encercler, diviser, répartir, cloisonner, compartimenter, fractionner, enclore, alors le peintre se fait architecte/géomètre (Hommage à A. Tàpies, 1975). Lorsqu’il fabrique tel un luthier ses tables lisses, incurvées ou encore rectilignes, ses surfaces bombées ou concaves, ménageant des ouvertures, orifices, sections, munies de fils, de cordes, de tiges de bois, régulièrement, sinon amoureusement fixées, collées, retenues, ménageant des accords, des répétitions, des rythmes, des scansions, le peintre compose une cantate et se fait musicien.

Quand, insérant dans l’alcôve, la cavité ou le coffret l’intime espace du secret, le peintre nomme ses oeuvres comme ses enfants, en s’enfantant lui-même. Lorsqu’enfin il met à nu l’incision de ses balafres, la fracture, ses éventrements, ses gouffres, et surtout quand il fait le mort, dans son silence de mort, sur la surface de la toile, pour mieux la laisser passer, cette mort, menace, tourment, douleur de l’arrachement, et enregistrant ainsi les secousses et les mouvements humains, par des gestes lents ou précipités, posés ou vifs, dans le noir ou le blanc, le peintre se fait sismographe.

Lorsque la toile-cible, criblée de trous, de perforations, évoque le sentiment d’une vie criblée, traçant sa graphie au travers des plaies et marques, la toile devient palimpseste et support d’une mémoire cicatricielle (Composition no 4, 1975). Alors, le peintre se fait archer, et d’un oeil il regarde sa cible, de l’autre les aléas du monde, et vise, en son centre, l’une et l’autre. Et lorsque les figures ont disparu, l’étoffe et le tissu s’encollent tel un vêtement au corps de l’oeuvre, une seconde peau où plis, échancrures, bordures captent la lumière pour mieux en faire saisir la trame, la texture, le grain, alors se fait sentir le corps, absent de la représentation, mais présent dans la réalité physique et matérielle de l’oeuvre (Parade, 1963). Présence souterraine qui se laisse appréhender par rythmes et mouvements de la surface, des tréfonds enfouis sous les couches superposées du tableau, comme autant de masques et de voiles posés sur la présence corporelle de ce qui ne se dit pas.


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Composition Architectural
1980
Matériaux et médiums mixtes
Mixed media
61 x 51 x 7,5 cm















Composition no 4
1975
Matériaux et médiums mixtes
Mixed media
25,5 x 20 x 2,5 cm


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