Et il y a de la musique
1978-1980
Matériaux et médiums mixtes
Mixed media
76 x 61 x 7,5 cm









Multivision
1989
Huile sur toile
Oil on panel
30 x 40,5 cm




Composition
1970-1971
Matériaux et médiums mixtes
Mixed media
51 x 41 x 7 cm




















Montage no 1
1979-1980
Matériaux et médiums mixtes
Mixed media
91,5 x 71 x 8 cm

Par ailleurs, le peintre aménage des chambres closes, semblables aux chambres du coeur (Sans titre, 1999), des coffres, des écrins (Composition no 4, 1975; Et il y a de la musique, 1978-1980), il ciselle des châsses où les paysages de l’âme se tapissent. Une réorganisation des forces défaites s’effectue ainsi dans le sentiment intime de réordonnancement, de réparation psychique, de cautérisation de la blessure. Dans ces boÎtes trouées, ces panses fendues, ouvertes par le peintre pour mieux en évoquer la fermeture, l’interdiction, les lieux encerclés s’inscrivent dans le visible, malgré leur inaccessibilité. S’ils se rendent perceptibles, c’est plutôt comme lieux de la cache, où le peintre a fait ses dépositions (La lettre, 1976). Là, règne le silence incommensurable de l’objet, de la chose déposée, ensevelie, peut-être... à moins que ce ne soit le vide, un vide qui n’a rien d’une absence, mais force au contraire le sentiment d’une sur-présence, secrète mais tangible.

Ça et là, damiers, treillis, signes indéchiffrables, sentiers indéfrichables se multiplient, où l’espace se resserre, où l’air se densifie entre les traits, taches, lignes moléculaires, entrelacs soulevés de matières colorées. L’énigme posée et déposée symbolisant à elle seule le caractère énigmatique de toute oeuvre d’art, même lorsque celle-ci s’impose comme jouissance objectivée de soi, organisme autonome, toutefois empreint
de mystère. Si une structure parfois labyrinthique installe le Dédale, alors les fils se perdent, s’emmêlent, installant une recherche sans issue, des voies de passage en magmas, des circuits qui s’avèrent fermés (Multivision, 1989). Autant d’indices d’une perte, d’un égarement oeuvrés visuellement, à moins qu’il ne s’agisse du pur plaisir qui se savoure en s’attardant dans les confins de l’oeuvre, sans hâte d’en sortir. Le temps alors suspendu s’incruste dans les méandres des lignes, des trajets, des sursauts, des événements de la matière colorée.

Puis, quand la simplification des effets gagne, quand la réduction des moyens sévit, le renforcement des articulations plastiques s’impose, par plans superposés, écrans opaques, et inscrit le regard comme doublure du geste et vice versa. Alors, de grands pans édifiés en surfaces monolithiques se dépouillent, se minimalisent (Composition, 1970-1971; Composition en noir et gris, 1981). Ils se tiennent debouts, en forme de croix, de triangle, de carré, plus ou moins irréguliers, tenus et attachés aux cordes collées qui les retiennent. Ils s’érigent ainsi, dans un implacable silence, une sobriété mono- ou bichromatique, pareille en cela à la simplicité, à la monumentalité muette des temples et des tombeaux. Un espace de méditation s’ouvre alors, surfaces inertes, en attente de l’Événement.

D’autres oeuvres prennent l’allure de grands totems s’élevant dans leur hiératisme et leur retenue. Une surface (Composition façade, 1983-1984) endormie presque, ou plutôt figée dans sa carapace de froid, figure gelée dans une position frontale, où de minuscules signes, frétillements, fissures, fêlent cette couche sédimentée de blanc/bleu/gris. Comme si elle n’était plus que plaque sensible où se devinent, s’éparsent d’infimes palpitations de fleurs givrées, l’apposition de quelques doigts aux phalanges symétriquement posées en une secrète géométrie du corps enfoui, sur planche de mort, surface palpable, palpitante en de minuscules endroits. On lirait, dans ces formes vibrantes, des tracés ondulatoires souterrains, un effet de multiples pliements «dans une coextensivité du dévoilement et du voilement de l’Être, de la présence et du retrait de l’étant» (4) . S’agirait-il d’un équivalent de ce que Mallarmé nomme «le pli du monde» où le pli se dépasse dans une inclusion, «tassement en épaisseur, offrant le minuscule tombeau, certes de l’âme» (5). Affaire de monade dans ce repliement différentiel de l’être et du monde, de l’extérieur et de l’intérieur, de la façade et de la chambre. Si les matières donnent lieu à des manières (formes pliées), s’y engendre une sorte d’indiscernabilité que Deleuze lit ainsi chez un autre peintre des textures matériologiques (Dubuffet), par une interrogation: «est-ce une texture, ou un pli de l’âme, de la pensée?» (6).

Le tableau, parfois, se modèle tel un objet de lutherie (Montage no 1, 1979-1980). Sa surface d’acajou lustré s’éploie, dans sa fabrication artisanale, comme un instrument de musique à cordes. Le peintre y aurait façonné, à sa guise, viole ou violon, les tables, le chevalet, l’âme, les ouïes, répartissant scansion rythmique, mesures, et ouvrant ainsi un espace musical tout autant que plastique. Sur cette surface feuilletée et compartimentée, les décalages de plans, creux et saillies, appellent le sens du toucher, la connexion tactile, l’espace haptique et l’on pourrait se prendre au désir de toucher, de caresser ses parties, et d’y frotter l’archet. Alors, Riegl nous insufflerait sa pensée sur le primat de la tendance à l’abstraction de l’objet d’art qui pourrait «donner au spectateur la conscience apaisante de jouir de l’objet dans l’immuable nécessité de son individualité matérielle close» (7).

Cet aspect grave et silencieux de l’oeuvre de Giunta serait alternativement compensé par l’appel des contraires. Fantaisie ludique, légèreté, formes de l’envol, du flottement, d’un arrachement à la terre, aptes à rétablir une composante euphorique dans l’oeuvre (Muro Dell’infanzia, 1990). Cette compensation inévitable, ce mouvement oscillatoire, ne tiennent-ils pas essentiellement au ressort de la vie? Car, si le peintre Giunta jouit de providentielles ressources pour alimenter son oeuvre, chaque oeuvre n’est-elle pas aussi ressourcement pour le peintre, celui-ci échangeant sa vie avec la vie de l’oeuvre, double nourriture partagée, qui fait l’un et l’autre à la fois, le peintre et la peinture, dans l’illumination d’une quotidienne attente à la table de communion.


Françoise Le Gris

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Sans titre
1999
Matériaux et médiums mixtes
Mixed media
76 x 61 cm

La lettre
1976
Matériaux et médiums mixtes
Mixed media
41 x 30,5 x 3 cm







Composition en noir et gris
1981
Matériaux et médiums mixtes
Mixed media
25,5 x 20 x 5 cm

 

Composition façade
1983-1984
Matériaux et médiums mixtes
Mixed media
122 x 91,5 x 8,5 cm












 

 

 

 

 


Muro Dell'infazia
1990
Médiums mixtes
Mixed media
76 x 61 cm

 

 

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