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Francesco lacurto
Portrait de Joseph Giunta
1934
Huile sur panneau
Oil on panel
25 x 20,5 cm |
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Les années
1930 sont celles où Joseph Giunta termine sa formation
et commence à faire ses toutes premières
armes dans le métier de peintre. C’est l’environnement
social et artistique particulier à cette période
qui est à la source des influences qui seront déterminantes
dans les premières années de production.
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Le premier mot qui
vient à l’esprit pour cette décennie
troublée est, de toute évidence, celui de Crise. Le
Québec d’alors est une société en partie
rurale car près de quarante pour cent de sa population vit de
l’agriculture. Par conséquent, les valeurs morales,
religieuses, économiques et même esthétiques sont
fortement attachées au thème de la terre qui se trouve
associé aux préoccupations nationalistes. La politique
économique qui favorise l’accélération de
l’industrialisation, l’exploitation des richesses
naturelles et l’ajustement de l’éducation se
heurtent donc au patriotisme des Canadiens-français
( 1).
La grande Crise économique qui débute avec
le Krach du 29 octobre 1929 vient frapper de plein fouet
cette société fidèle aux valeurs
rurales et traditionnelles. En tant que producteur de
denrées agricoles et de pâtes et papiers,
le Canada est fortement touché et connaît
une réaction en chaîne entraînant l’écroulement
successif de secteurs comme ceux des biens et des services
( 2).
Très vite, les conséquences économiques
se transforment en une immense instabilité sociale
et politique qui brise au niveau individuel de nombreux
projets d’études ou de carrière, a
fortiori quand elles sont artistiques ( 3).
Cependant, les années 30 sont aussi marquées
par le choc des idées qui se cristallisent quelquefois
dans leurs extrêmes. Entre les conservateurs et
ceux qui prônent des réformes du système
économique et social, s’ouvre un terrain propice
à la nouveauté qui trouvera son pendant
dans les domaines intellectuel et artistique.
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Affecté
également par la Crise, le public cultivé qui
s’intéresse à l’art se retrouve dans les
villes. Quelle que soit son appartenance, anglophone ou francophone, il
se caractérise par un conservatisme affirmé qui
s’oppose à l’«aventure» ( 4)
d’une modernité artistique se profilant à
l’horizon avec des idées et des actions inspirées
du contexte européen. En l’absence de l’aide
gouvernementale et de collectionneurs détournés par la
Crise, les artistes arrivent difficilement à vendre leurs
oeuvres. Pour certains, proposer des changements et des innovations
relève, pour l’instant, de l’isolement total.
En fait, les conjonctures économiques entretiennent le
goût conservateur de rares acheteurs qui
s’intéressent à la tradition du paysage. Qui plus
est, les scènes de la nature coïncident avec une certaine
ferveur nationaliste qui, en littérature par exemple,
préconise le retour à la terre, alors que la ville sera,
on le sait, un des thèmes de la modernité à venir.
Des peintres comme Maurice Cullen, James Wilson Morrice et Clarence
Gagnon privilégient une manière postimpressionniste dans
leur traitement des thèmes du terroir. D’autres peintres
comme Adrien Hébert favorisent, au contraire, la
représentation de la ville, sujet plus conforme à la
réalité moderne. En définitive, l’opposition
entre une peinture d’identité nationale et celle de
l’expérimentation formelle propre à
l’autoréférence picturale constitue plutôt un
«rattrapage» au regard de la situation européenne
qui a vu naître beaucoup plus tôt la modernité comme
rupture par rapport à l’académisme ( 5).
C’est en fait la guerre qui accélérera
les changements esthétiques en entraînant
la venue d’intellectuels ou d’artistes européens
et en forçant quelques exilés à rentrer,
dont Alfred Pellan qui provoque un bouleversement avec
son exposition de 1940.
Quant à Joseph Giunta, il traverse la Crise, occupé
à former ses années de jeunesse avec une figuration
inspirée du paysage et de la ville mais dont la liberté
et la texture annoncent l’entrée dans la modernité. |